Le « right to repair » ou le droit à la réparation des véhicules est un sujet de plus en plus présent dans l’actualité, et ce, des deux côtés de la frontière. Le président Biden s’est même prononcé en faveur d’une législation américaine fédérale qui viendrait appuyer le droit à la réparation. Exprimé simplement, le concept de droit à la réparation consiste à permettre à tout le monde d’accéder à l’information et aux données nécessaires pour réparer soi-même sa voiture. Bien que cela puisse sembler être une bonne idée à première vue, il me semble évident que les fervents défenseurs de cette approche ont une vision déformée ou exiguë de la réalité.
D’abord, les constructeurs d’automobiles investissent des sommes colossales dans la recherche et le développement afin de créer des voitures sécuritaires, dotées de technologies innovantes, performantes et moins énergivores. Ce faisant, la technologie embarquée dans nos véhicules est de plus en plus raffinée et complexe et requiert non seulement des connaissances approfondies pour pouvoir les réparer et les entretenir, mais également des outils ultra spécialisés pour effectuer le travail. Si le droit à la réparation était adopté à l’échelle du Canada ou du Québec, cela permettrait à n’importe qui d’avoir accès à l’information liée aux procédures de réparation des constructeurs et aux outils de diagnostic embarqué dans les véhicules. Cela pourrait sérieusement compromettre la sécurité des véhicules et, par conséquent, celle des passagers. En outre, puisque les constructeurs d’automobiles sont responsables de la qualité et de la sécurité de leurs produits, si une réparation est effectuée par un tiers non autorisé et se révèle défectueuse, comment le consommateur pourra-t-il départager le degré de responsabilité entre les différents intervenants ?
Le travail en étroite collaboration entre les constructeurs d’automobiles, les concessionnaires et les ateliers indépendants est la meilleure façon de garantir une expérience de réparation de qualité pour les propriétaires de véhicules.
Par ailleurs, que tentons-nous de régler en appliquant les principes du droit à la réparation à l’automobile ? Nous savons que l’Europe a emboîté le pas au droit à la réparation pour les appareils domestiques et les appareils électroniques dans un souci de réparabilité des biens et de création d’un écosystème économique viable. Il est vrai que l’industrie de la réparation des biens domestiques et électroniques est quasi inexistante, et que le caractère éphémère de ces marchandises nous incite à jeter plutôt qu’à réparer. Certains prétendent même que les fabricants de fournitures électroniques ou domestiques ont délibérément recours à l’obsolescence programmée lors de la conception de leurs produits pour entraîner un cycle de renouvellement rapide. Mais qu’en est-il de l’automobile ? Plusieurs études viennent établir que l’automobile est le seul bien dont la fiabilité et la durabilité n’ont cessé de croître dans le temps. Au surplus, le consommateur a déjà accès à une grande disponibilité de pièces, tant d’origine que d’après-marché, et ce, pour une période minimale de dix ans en vertu de la législation fédérale. D’ailleurs, l’État de New York vient de voter une loi établissant le droit à la réparation en excluant spécifiquement l’industrie de l’automobile pour les raisons susmentionnées. Ainsi, il nous apparaît non souhaitable d’ajouter une couche réglementaire à notre industrie pour réparer quelque chose qui ne le requiert pas. En d’autres mots, if it’s not broken, don’t fix it.
À moins que l’objectif ne soit de donner un nouvel avantage à notre concurrence de l’après-marché à la suite de leurs demandes et de leurs campagnes de relations publiques incessantes des dernières années ? Sous le chapeau de vouloir favoriser le consommateur, qui favorisons-nous dans les faits ? Je rappelle ici que, à la suite des discussions ouvertes avec l’après-marché, il y a de cela plusieurs années, les constructeurs canadiens ont déjà accepté de partager certaines données et procédures de réparation afin de maintenir un environnement de concurrence sain dans l’industrie de la réparation d’automobiles, tout en maintenant la sécurité du public. Contrairement aux intentions exprimées par les défenseurs du concept, je crois plutôt qu’élargir le droit à la réparation à l’automobile viendra réduire la diversité de joueurs dans le marché puisqu’il ne favorisera que quelques gros joueurs qui auront les capitaux nécessaires pour mettre leurs organisations à niveau.
Il est également important de prendre en compte le fait que les concessionnaires et les fabricants de voitures travaillent ensemble dans le cadre d’un réseau de franchises. Les concessionnaires ont le droit de vendre des voitures d’une marque donnée et de les réparer en fonction d’une relation franchiseur/franchisé et d’investissements importants exigés par le constructeur. Ouvrir davantage le partage de données de véhicules et de réparations à l’après-marché leur donnerait un avantage déloyal et constituerait ni plus ni moins qu’une négation totale de notre réalité de concessionnaire.
Bien que le droit à la réparation puisse sembler être une solution simple, il y a de nombreuses considérations qui doivent être prises en compte avant de l’adopter. Pour garantir la sécurité des véhicules et des passagers, la qualité des produits et la stabilité de l’industrie de la réparation d’automobiles, il est préférable de ne pas l’adopter. Le travail en étroite collaboration entre les constructeurs d’automobiles, les concessionnaires et les ateliers indépendants est la meilleure façon de garantir une expérience de réparation de qualité pour les propriétaires de véhicules. En fin de compte, une approche prudente et équilibrée est nécessaire pour prendre en compte les intérêts de toutes les parties impliquées. Au risque de me répéter, if it’s not broken, don’t fix it ou encore, ne cherchons pas un problème à une solution.
