On voit souvent la planification de la relève comme quelque chose de très gros. On ne devrait pas. Nous parlons aux divers concessionnaires de deuxième génération sur le processus et nous leur demandons comment ça s’est passé et comment ils le vivent.
Ce dont on est certain dans la vie, c’est que ça change. Et la façon dont on se prépare à ce changement peut souvent faire la différence entre l’échec et le succès. Quand il s’agit de la vente d’automobiles, tôt ou tard le moment viendra pour les concessionnaires de se retirer et de laisser les rênes de leur entreprise à des membres de la famille ou à des associés dignes de confiance ou, encore, de vendre leurs actifs à une tierce partie.
Selon Richard Gauthier, président et chef de la Direction de la Corporation des associations de détaillants d’automobiles, quand il s’agit de planification de la relève, le problème, c’est que de nombreux concessionnaires peuvent avoir l’impression d’être tellement impliqués dans la gestion de leur concession et de traiter une multitude de tâches, qu’ils ne savent pas par où commencer quand il s’agit de planification de la relève.
Il peut aussi être difficile de prendre de grandes décisions et de poser les questions : qui voudra faire fonctionner ma concession quand je partirai ? Qui est en mesure de le faire ? À qui puis-je faire confiance pour bien faire le travail et s’assurer que l’entreprise continuera à prospérer et à se développer ?
Des statistiques inquiétantes
M. Gauthier dit que la CADA a commencé à s’intéresser à la question de la planification de la relève en 1997. « À l’époque, nous avons découvert que 48 % des concessionnaires n’avaient pas de plan », dit-il.
« Lorsque nous avons réexaminé la question, en 2011, nous nous sommes rendu compte que le nombre avait à peine bougé ‒ 43 % n’ont toujours pas de plan de planification de la relève. » M. Gauthier affirme que la situation est encore plus inquiétante quand on tient compte du taux d’échecs et de réussites des entreprises de deuxième et de troisième générations. « Selon la Canadian Association of Family Enterprise, les statistiques démontrent que 70 % des entreprises échouent après être passées à la propriété de deuxième génération et qu’il en est de même de 90 % des entreprises qui sont passées à la troisième génération. Quand vous faites le calcul, sur la base des 43 % qui n’ont pas de plan de planification de la relève, cela signifie que nous pourrions perdre 900 des 3 300 concessionnaires au pays. Comment ne pas être inquiet ? »
Pour aider les concessionnaires dans le processus, la CADA a récemment publié un Guide de planification de la relève pour les concessionnaires dans le cadre de sa série Réseau de concessionnaires du Canada. « Nous nous voyons dans un rôle d’éducation », explique M. Gauthier, « à démystifier la question et à donner aux concessionnaires l’occasion de réfléchir sur les choses qu’ils doivent faire. » Pourtant, la planification de la relève ressemble à ce gros nuage noir à l’horizon, et il ne doit pas en être ainsi.
Il y a un certain nombre de concessionnaires individuels et de groupes de concessions qui ont réussi la transition à la génération suivante et, par conséquent, ont poursuivi leur croissance. Partageons, si vous le voulez bien, certaines de leurs histoires.
Michael Croxon, président, New Roads Automotive Group, Ontario
Né dans une famille de concessionnaires General Motors, M. Croxon est le plus jeune des trois enfants, mais le seul qui a choisi de suivre les traces de son père.
Aujourd’hui, le New Roads Automotive Group compte des concessions à succès General Motors, Kia et Subaru. Ce qui est peut-être encore plus intéressant, c’est le fait que M. Croxon a commencé très jeune ; il n’était âgé que de 26 ans quand il a hérité de l’entreprise de son père. Voilà qui n’est pas souvent considéré comme une recette à succès.
« Au moment où j’ai pris le relais, il y avait en fait deux options sur la table », dit M. Croxon. « Primo, mon père prenait sa retraite et vendait la concession à Roy Foss, ce qui aurait été l’option facile. Secundo, je prenais la relève. J’étais le plus jeune de la famille et le dernier espoir », dit-il en riant. M. Croxon ajoute qu’il a eu de la chance que son père se soit révélé un grand mentor, ce qui l’a aidé à réussir. « J’ai eu la chance qu’il sache comment l’entreprise fonctionnait et ce qui devait être fait pour assurer la transition en douceur. » Michael Croxon dit que le processus l’a effrayé à certains moments, mais son père lui a donné la chance d’acquérir des parts de l’entreprise et a utilisé ce qu’il appelle des
« mécanismes financiers créatifs ». « Il y aura toujours des risques », dit M. Croxon « mais si vous amorcez le processus tôt, vous avez une compréhension de ce que sont les attentes et vous donnez à vos enfants la chance de se développer ; alors il est plus probable que vous réussirez votre plan de succession de la relève. »
Philippe St-Pierre, VW Outaouais, Gatineau, Québec
Philippe St-Pierre est un autre concessionnaire de deuxième génération, qui a récemment pris la relève de son père, Jean-Marie. La famille a commencé à travailler sur un plan de relève en 1997, et Philippe a franchi les échelons un à un pour prendre la relève, le moment venu. Il dit que, en grande partie, la transition s’est déroulée en douceur, que « la communication est restée ouverte et honnête. Notre plus grand souci était de préserver le lien familial », fait-il remarquer.
Philippe St-Pierre dit que, quand vient le temps de vendre l’entreprise ou de la transmettre à vos enfants, il y a divers facteurs à considérer. Après avoir assisté à deux façons de faire, il dit que de nombreux concessionnaires ne tiennent pas souvent compte des avantages qu’ils perdront s’ils vendent. « Des choses comme les véhicules, les cartes d’essence, etc., dont ils sous-estiment la valeur une fois que la concession a disparu. » Si on veut vendre à une tierce partie, M. Saint-Pierre met les gens en garde ; il existe des facteurs ou des conditions que l’acheteur pourrait vouloir et dont le vendeur n’a pas tenu compte ; de même les offres d’achat pour la concession pourraient être nettement inférieures à la valeur estimée par le vendeur. Sur le plan familial, dans le cadre d’un processus de transition, on verra souvent le vendeur retenir davantage de bénéfices, tandis que l’acheteur (un membre de la famille souvent plus jeune) aura une meilleure idée de l’entreprise dans laquelle il entre vraiment.
« Un achat de la famille risque de finir par coûter plus cher », dit M. St-Pierre « et les deux parties doivent être conscients que la vente dans la famille ne signifie pas un loyer pour la vie, et que le patron n’est pas le patron tant que le dernier versement n’a pas été fait. »
Pour qu’un plan de relève soit correctement exécuté, il doit y avoir un contrat et un transfert des actions. M. St-Pierre dit qu’il doit y avoir un plan écrit qui couvre tout, de la participation aux bénéfices aux voyages chez le fabricant en passant par les véhicules. « Dans de nombreux cas, les parents ont travaillé très fort pour bâtir leur entreprise qui agira souvent comme une partie importante de leur retraite, un bon plan tiendra également compte des bons et des mauvais moments. Comment un concessionnaire peut-il survivre s’il est mal comptabilisé et subit de lourdes pertes ? »
Sean O’Regan, président d’O’Regan’s Auto Group, Nouvelle-Écosse
L’histoire de Sean O’Regan est intéressante. Le père de Sean, Paul, qui avait une formation d’instituteur, a construit avec son frère Stephen un immense empire de vente d’automobiles à partir d’une station-service familiale et d’un commerce de vente de voitures. M. O’Regan se souvient d’avoir travaillé à la station-service Irving de la famille. « Nous avions ce commerce de voitures d’occasion de l’autre côté de la rue », dit-il. Peu à peu, l’entreprise a grandi, donc, au moment où Sean s’est joint à l’équipe à temps plein dans les années 1990, les O’Regan comptaient déjà plusieurs franchises de voitures neuves dans la région de Halifax/Dartmouth, dont des concessions General Motors, Toyota, Lexus et Mazda.
« J’étais au collège quand j’ai commencé », explique M. O’Regan. « Il n’était pas du tout certain que je dirigerais un jour l’entreprise, mais j’y pensais et j’ai occupé des postes de responsabilité. » Une chose que note M. O’Regan, c’est que l’idée de garder la famille unie était très importante, et tout ce qui aurait pu la fragmenter, la vente de l’entreprise ou une transition sans succès à la génération suivante, par exemple, était quelque chose qu’il voulait éviter. « Mon père a créé l’entreprise avec son frère (mon oncle) Stephen comme partenaire ; il y a trois enfants de notre côté et cinq du côté de mon oncle, et il était important que nous restions ensemble », explique Sean O’Reagan.
Selon sa propre expérience, Sean O’Regan tient à souligner le fait que les concessionnaires ont besoin de jeter un regard sérieux à la dynamique de l’entreprise et aux forces et aux faiblesses de chaque candidat potentiel, quand ils pensent à remettre les rênes à quelqu’un d’autre. « Les gens peuvent contribuer à l’entreprise de différentes façons », dit-il, « il est donc important de noter qu’un bon plan financier pour l’entreprise n’a rien à voir avec une planification de la relève, il y a beaucoup de facteurs à considérer. »
Sean O’Regan estime que l’intégration d’un tiers qui aura une vision objective des candidats potentiels à la succession est essentielle pour assurer une transition en douceur. « Quand vous êtes en famille, il peut être très difficile d’évaluer les forces et les faiblesses de chaque candidat potentiel. Dans notre cas, nous avons travaillé avec un spécialiste de la succession [Dr John Fast] durant huit ans avant que la transition proprement dite ne se fasse. »
D’autres facteurs importants
Sean O’Regan dit qu’il y a un autre facteur à considérer : comment les membres de la direction de la concession et le constructeur réagissent une fois qu’un candidat a été retenu. « Beaucoup de gens ont tendance à oublier que la nomination d’un successeur pour exploiter une entreprise peut affecter d’autres personnes, surtout dans une organisation comme la nôtre où nous comptons plus de 700 employés. Vous devez vous assurer que d’autres membres de l’équipe sont considérés. Une fois que le concessionnaire a nommé un successeur, il peut arriver que la moitié des membres de la Direction partent parce qu’ils ne s’entendent pas avec cette personne ou qu’ils sentent qu’ils n’ont jamais fait partie du processus. »
Dans le cas du constructeur, il n’a aucune garantie qu’il approuvera, même si vous pensez que votre candidat est le plus apte à prendre la relève. Il y a des situations où un constructeur peut rejeter le plan de succession, souvent parce que les candidats en question n’ont pas été approuvés au préalable, ou que le constructeur sent qu’ils ne sont pas qualifiés pour le poste. Les concessionnaires peuvent tenter de régler les différends par le Programme national d’arbitrage des concessionnaires d’automobiles ou de contester devant les tribunaux. Est-ce vraiment la bonne solution ? « D’autres fabricants ont des clauses différentes », dit M. O’Regan « puisque chaque marque et la situation de chaque concessionnaire sont différentes. Vous devez vous assurer que vous respectez les règles et les conditions énoncées dans le contrat de franchise. »
Quand on leur demande quel est le facteur le plus important quand on considère un plan de succession, les personnes interviewées répondent : « Commencez tôt. » Ils ajoutent «prenez le temps de bien faire les choses. »
