L’économie et les véhicules électriques : une perspective unique

L’incertitude économique et les délais d’approvisionnement ont un effet sur le comportement des consommateurs.

Récemment, les journalistes et les médias se sont beaucoup intéressés à la tarification des véhicules au Canada et aux effets sous-jacents de la hausse des taux d’intérêt.

À titre d’économiste en chef de la CADA, j’ai activement pris part à ces discussions et j’ai été témoin de la surprise prévisible, presque inévitable, lorsque je leur ai dit que la transition vers un marché dominé par les véhicules électriques est une variable qui aide à expliquer l’augmentation, la rigidité et, même, la baisse potentielle des prix des véhicules neufs.

Certains experts avec lesquels j’ai interagi m’ont vu soudainement amener la discussion sur les véhicules électriques comme un moyen pas si subtil d’éviter d’autres sujets brûlants concernant notre industrie, mais la réalité est que la récente situation des prix est le résultat de la combinaison unique entre une situation économique complexe et de profondes transformations sectorielles.

« Pour les consommateurs désireux d’acheter un véhicule, les perspectives de notre économie demeurent extrêmement troubles et pourraient très bien conduire à des habitudes d’achat plus prudentes. »

D’un côté de l’équation, l’économie canadienne a placé à la fois les propriétaires d’entreprises et les consommateurs dans un étrange état d’incertitude où nos intuitions traditionnelles sur les marchés et les prix sont restées profondément remises en question.

Alors que l’inflation de base suit une tendance à la baisse depuis le début du 3e trimestre, la Banque du Canada a maintenu sa stratégie anti-inflationniste en haussant son taux directeur à 5 % au début de juillet. De plus, la hausse des coûts globaux des entreprises aux États-Unis et la diminution de 2 % des exportations canadiennes vers le marché américain pourraient suffire aux banques centrales pour retarder d’éventuelles baisses de taux d’intérêt, selon certains.

Pour les consommateurs désireux d’acheter un véhicule, les perspectives de notre économie demeurent extrêmement troubles et pourraient très bien conduire à des habitudes d’achat plus prudentes.

Après plusieurs mois de comportements erratiques des consommateurs qui semblaient presque déconnectés de l’information économique fournies par nos meilleurs experts nationaux, il semble que la menace d’une récession ait fait son chemin dans le processus décisionnel des Canadiens qui cherchent à acheter des articles coûteux.

L’un des développements récents mettant en évidence l’imprévisibilité du marché que les concessions doivent gérer est la perte d’emplois enregistrée en juillet qui s’est accompagnée, contre toute attente, d’une hausse des salaires. Les entrepreneurs doivent-ils interpréter cela comme un signe de ralentissement économique, comme une preuve de l’augmentation du pouvoir d’achat des acheteurs ou simplement comme le résultat d’un décalage entre la demande d’emploi et les flux migratoires massifs ?

Dans l’ensemble, les signaux mitigés ont été un thème récurrent et ont rendu difficile pour les banques centrales, les propriétaires d’entreprises et les consommateurs de planifier stratégiquement les 12 à 18 prochains mois.

D’un autre côté, l’industrie de l’automobile connaît des transformations importantes qui nécessitent des investissements majeurs de la part des gouvernements, des fabricants et des concessionnaires. De toute évidence, la transition vers un marché entièrement électrique est la plus importante et a contribué à l’augmentation globale des prix des véhicules.

Les véhicules électriques sont plus coûteux à construire car ils intègrent de nouvelles technologies, de nouveaux composants électriques et de nouveaux matériaux — des ressources souvent trouvées dans le monde entier et pas strictement dans les limites du marché nord-américain.

De plus, de nombreux constructeurs ont modifié leurs chaînes de production de fond en comble pour entrer et rivaliser dans le segment en croissance constante des véhicules électriques. Ces choix s’accompagnent d’importants coûts en recherche et développement, en infrastructures et en investissements que les industriels espèrent éventuellement couvrir et justifier auprès de leurs actionnaires dans les années à venir.

L’offre et la demande ont également fait grimper les prix du segment des véhicules électriques. Comme je l’ai mentionné, les véhicules sont plus compliqués à fabriquer et dépendent d’une chaîne d’approvisionnement mondiale et de nouvelles compétences technologiques.

Plus récemment, les fabricants n’ont pas été en mesure de produire ces véhicules à un rythme qui correspondait à l’intérêt croissant des consommateurs pour ce nouveau produit. Dans le même temps, les gouvernements ont intensifié leurs efforts de promotion des véhicules électriques en déployant davantage de programmes avec des incitatifs financiers ou fiscaux pour le consommateur.

Ce seuil entre l’offre et la demande, même s’il a diminué depuis la fin de la pandémie, a accentué l’écart de prix entre les véhicules traditionnels et ce nouveau segment : le prix moyen de 50 000 à 90 000 $ pour les VÉ au Canada est donc l’aboutissement de cette offre unique et de ces nombreux facteurs.

Maintenant, on pourrait penser que le prix nettement plus élevé inciterait les consommateurs à se tourner vers les voitures d’occasion ou, même, vers la location de véhicules électriques.

Eh bien, avec la qualité des produits de notre industrie, il y a tout simplement moins de voitures d’occasion sur le marché : les véhicules restent maintenant sur la route pendant environ 13 ans (record de tous les temps au Canada). Cela génère une pression à la hausse sur les prix de l’occasion et semble naturellement rediriger les consommateurs vers les véhicules neufs.

La location n’a pas non plus été aussi forte dans le passé, principalement en raison de la façon dont les taux d’intérêt actuels ont affecté la capacité des consommateurs à obtenir un financement adéquat. Cela pourrait très bien changer au cours des prochains mois, alors que le taux d’épargne des ménages canadiens est passé de 5,8 % en 2022 à 2,9 % en 2023 (selon Statistique Canada) ; cependant, pour l’instant, le taux de location dans les concessions d’automobiles oscille autour de 23 % par rapport à 31 % avant la pandémie (voir rapport CADA Data 2022). Au fil du temps, moins de transactions de location réduit indirectement les stocks de véhicules d’occasion, ce qui pousse les prix à la hausse et incite les consommateurs à se tourner vers les véhicules neufs.

Enfin, les données récentes sur le nombre de ventes de VÉ et les prix des VÉ indiquent l’émergence d’un nouvel équilibre ou d’un nouvel environnement, où un ralentissement progressif de l’intérêt du public pour les Vé coïncide avec une reprise de la fabrication, ce qui entraîne une augmentation des stocks dans plusieurs marques et concessions. Certaines réductions de prix ont déjà été observées, et nous pourrions en voir plus prochainement car les gouvernements n’ont pas montré la capacité d’adapter leurs programmes de rabais au prix actuel de la plupart des véhicules électriques sur le marché.

« Une chose est claire : l’orientation du marché des véhicules électriques dictera une grande partie de ce qui est perçu et compris de l’industrie de l’automobile dans son ensemble. »

Il est difficile de prédire si les fabricants seront disposés à rajuster leurs prix au marché compte tenu de l’exposition financière importante que j’ai mentionnée. Une chose est claire : l’orientation du marché des véhicules électriques dictera une grande partie de ce qui est perçu et compris de l’industrie de l’automobile dans son ensemble.

Alors que de plus en plus de pays adoptent les mandats VÉ comme moyen de diriger et de structurer cette transition, il sera intéressant de voir comment différentes entreprises gèrent cette transformation. Comme d’habitude, les concessions devront s’adapter et trouver leurs propres moyens pour réussir dans un contexte caractérisé par des tendances économiques compliquées et façonné par l’État en constante évolution du nouveau marché des véhicules électriques.

About Charles Bernard

Charles Bernard est économiste en chef à la Corporation des associations de détaillants d’automobiles (CADA). Vous pouvez le joindre à l’adresse suivante : cbernard@cada.ca

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