La politisation des véhicules électriques

Que signifierait un changement de direction aux États-Unis dans la transition vers les véhicules électriques ?

La vice-présidente, Kamala Harris, et le gouverneur du Minnesota, Tim Walz, montent sur scène lors du rassemblement au Liacouras Center de l’Université Temple à Philadelphie, en Pennsylvanie, le 6 août 2024.

L’industrie de l’automobile nord-américaine est extrêmement bien intégrée, ce qui se caractérise par des capacités de production réparties sur tout le continent et par une distribution mondiale de l’offre conceptualisée à l’échelle régionale plutôt que nationale.

Cela signifie que les États-Unis, à titre de base de consommateurs la plus importante des trois pays d’Amérique du Nord, jouent un rôle immense dans la détermination de l’orientation générale des décisions clés prises par l’industrie de l’automobile.

Comme beaucoup de choses dans le monde, ce secteur va là où le marché américain le souhaite. Pour être juste, il est évident que les concessionnaires d’automobiles et de nombreux consommateurs prospéreraient dans un environnement où la pure dynamique du marché dicterait les prix, l’offre, l’accessibilité, la variété et la qualité.

Bien sûr, il y a quelque chose d’inévitable dans le monde réel : la politique. Quand des changements politiques importants surviennent aux États-Unis, nous, Canadiens, devons y prêter une attention particulière, car ces petits écarts entre une voie politique et une autre peuvent avoir des répercussions considérables sur les économies nationales et provinciales.

Les effets des directives politiques sur l’industrie de l’automobile sont particulièrement intéressants quand on parle de la transition progressive vers un parc de véhicules à dominante électrique.

Ce processus, bien que fondé sur des ambitions environnementales légitimes et importantes, a été mis en œuvre par les responsables politiques plutôt que par le marché.

Aux États-Unis comme au Canada, des politiques de portée et d’impact diverses ont été mises en œuvre pour stimuler la demande des consommateurs en matière d’achat de véhicules électriques, et les marques, pour la plupart, ont adapté, de différentes manières, leurs capacités de production à ce nouveau mouvement. Les concessionnaires d’automobiles ont emboîté le pas et ont investi des millions de dollars dans leurs activités pour être prêts.

« De meilleurs environnements de recharge et davantage d’incitatifs sont perçus dans l’ensemble du secteur comme le meilleur moyen d’influer positivement sur la demande, et non pas des politiques et des réglementations strictes. »

Les principaux leaders d’opinion de l’industrie de l’automobile américaine et canadienne ont exprimé leurs inquiétudes quant à la possibilité que les projets motivés par des raisons politiques ne réussissent pas.

Si les gouvernements s’attendent à ce que les consommateurs suivent leur exemple parce qu’ils espèrent que les véhicules électriques deviendront la technologie dominante, ils doivent
accepter que de nombreux consommateurs doivent encore gérer leurs inquiétudes concernant l’accès aux infrastructures de recharge et leur utilisation dans des conditions difficiles tout en faisant face à des prix plus élevés.

D’un autre côté, les constructeurs doivent constamment rajuster la production de véhicules électriques, car l’intérêt pour ces produits est loin d’être linéaire ou prévisible. De meilleurs environnements de recharge et davantage d’incitatifs sont perçus dans l’ensemble du secteur comme le meilleur moyen d’influer positivement sur la demande, et non pas des politiques et des réglementations strictes.

Maintenant, la transition vers les véhicules électriques est en elle-même plus politique que d’autres sujets liés à l’automobile, principalement en raison des changements de comportement majeurs qu’elle entraînera et également en raison des affiliations partisanes qui sont habituellement associées à ce sujet.

Dans ce contexte, il est désormais évident qu’un nouveau candidat du Parti démocrate aux prochaines élections américaines pourrait bien avoir un effet majeur sur l’orientation générale de la transition de nos voisins du sud vers les véhicules électriques, ce qui affecterait inévitablement celle du Canada. Alors, que peut-on s’attendre de présidence de Kamala Harris ?

Comme Mme Harris a siégé au Sénat à titre de représentante de la Californie et qu’elle était également procureure générale de l’État, il devrait y avoir une forte adéquation entre ses politiques comme présidente et l’approche pro-VÉ et anticombustible fossile qui a récemment caractérisé son État.

Elle a été l’une des voix politiques les plus actives et les plus favorables à l’ascension de la Californie à titre de leader en termes d’adoption et de promotion des véhicules électriques aux États-Unis, et elle l’a fait notamment en étant l’une des premières à adopter le Green New Deal — une législation ratée qui aurait guidé l’économie nationale vers les énergies renouvelables propres à 100 % d’ici 2030.

Lors de sa campagne de 2020, lorsqu’elle s’est présentée à la direction du Parti démocrate, elle s’est engagée à mettre en œuvre des mandats de véhicules électriques presque identiques à ceux introduits sous Biden dans les années suivantes, ce qu’elle a, bien sûr, soutenu.

Il semble désormais évident que Mme Harris, à titre de présidente des États-Unis, chercherait probablement à développer ce qui a été accompli en Californie ; ce sera inévitablement difficile compte tenu des positions plus rigides adoptées par de nombreux États dirigés par les Républicains ces dernières années.

En d’autres termes, le contexte politique aux États-Unis pourrait rendre beaucoup plus difficile pour Harris, à titre de présidente, la mise en œuvre de certaines de ses politiques environnementales et de véhicules électriques les plus agressives — d’une manière similaire à ce à quoi le président Biden a été confronté ces dernières années.

Il est juste de supposer que le résultat des frictions politiques entre les deux partis pourrait encore conduire à une position progressiste sur la transition vers les véhicules électriques, mais le processus sera plus que probablement caractérisé par de nombreux allers-retours politiques, comme des réévaluations fréquentes des émissions et des objectifs d’adoption des véhicules électriques (comme ils l’ont fait en Californie !).

Pour ce qui est de comprendre comment le marché de l’automobile canadien serait affecté par une présidence Harris, cela ressemblerait probablement à un statu quo, car bon nombre des politiques liées aux véhicules électriques qu’elle a défendus sont directement en phase avec ce qui a été fait au Canada.

« Pour ce qui est de comprendre comment le marché de l’automobile canadien serait affecté par une présidence Harris, cela ressemblerait probablement à un statu quo. »

L’administration Biden a toutefois fait du bon travail en traitant la question des véhicules électriques avec un peu plus de souplesse et de volonté d’ajustement, ce qui contraste totalement avec ce qu’a fait le gouvernement Trudeau sur ce point.

Nous entendons souvent à quel point le changement serait sismique pour la transition vers les véhicules électriques si nous obtenions un tandem politique nord-américain composé de Donald Trump et de Pierre Poilièvre, mais une discussion à venir devra également porter sur la compatibilité entre Kamala Harris et Pierre Poilièvre, lequel a une forte avance dans les récents sondages politiques ici au Canada.

Cette analyse est actuellement difficile à réaliser ; même si les conservateurs ont critiqué les mandats de véhicules électriques menés par Justin Trudeau, on ne sait toujours pas quelle serait leur approche à l’égard de ce programme désormais bien mis en œuvre.

Si les Américains montrent la voie en matière de promotion de l’adoption et de la production de véhicules électriques pendant la présidence de Kamala Harris, les conservateurs pourraient choisir de laisser cette offre de véhicules électriques soutenue affluer au Canada et de soutenir la demande avec davantage d’investissements dans les infrastructures au lieu d’imposer l’adoption aux consommateurs.

Dans les faits, une approche américaine pro-VÉ avec une stratégie canadienne davantage axée sur le marché pourrait potentiellement bien fonctionner pour les consommateurs et les concessionnaires d’automobiles. Mais, il nous faudra nous retrouver avec cette combinaison de dirigeants politiques.

D’ici là, nous assisterons à notre lot de joutes politiques et de critiques. Il sera intéressant de voir si les véhicules électriques joueront un rôle aussi important dans ces débats que le pensent de nombreux experts.

À propos de Charles Bernard

Charles Bernard est économiste en chef à la Corporation des associations de détaillants d’automobiles (CADA). Vous pouvez le joindre à l’adresse suivante : cbernard@cada.ca

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