Il est bien connu qu’un employeur qui désire mettre fin à l’emploi d’un employé doit offrir le préavis minimal prévu à la Loi sur les normes du travail. Cependant, il faut savoir que le Code civil du Québec prévoit également un préavis raisonnable qui s’applique tant à l’employeur désireux de rompre le lien d’emploi qu’à l’employé qui souhaite démissionner de son emploi. S’il est facile pour l’employé de démontrer le salaire perdu pendant la durée du préavis insuffisant, qu’en est-il des dommages subis par l’employeur ?
La Cour d’appel1 s’est récemment penchée sur le cas d’un employeur qui demandait d’être indemnisé par un employé-clé ayant quitté son emploi sans donner de préavis.
« S’il est facile pour l’employé de démontrer le salaire perdu pendant la durée du préavis insuffisant, qu’en est-il des dommages subis par l’employeur ? »
Contexte de cette affaire
Monsieur Jacques Lacombe (ci-après « l’employé ») est à l’emploi de Pharmacie Blais (ci-après « l’employeur ») depuis 1970, sans contrat de travail écrit, à titre de technicien en laboratoire. Au fil des années, il est indéniable que l’employé a développé une relation privilégiée avec les clients de l’employeur, d’où la qualification « d’employé-clé ». Cette qualification est reconnue et récompensée par l’employeur par une bonification de son salaire qui va au-delà du marché pour un tel poste.
Le 14 août 2012, un conflit éclate entre l’unique actionnaire et administrateur de l’employeur et l’employé concernant les tâches de travail. Ce dernier démissionne verbalement et quitte l’emploi sur le champ. Le 20 août 2012, il débute à titre de technicien en laboratoire chez un concurrent, la Pharmacie Bergeron et Vincent inc. En moins de 3 mois, la preuve démontre que 219 clients ont demandé un transfert de dossier vers ce nouvel employeur.
La recherche d’un nouvel emploi et l’obligation de loyauté
La preuve a démontré que l’employé avait offert ses services à la pharmacie concurrente pendant qu’il était toujours à l’emploi de l’employeur. Le Tribunal retient qu’il ne s’agit pas d’un manquement à l’obligation de loyauté. En effet, sous réserve de son obligation de ne pas porter atteinte à la confidentialité des renseignements de l’employeur, un employé peut considérer de nouvelles possibilités d’emploi. Il peut négocier avec un concurrent et, même, informer des collègues de travail de ses intentions de quitter son emploi.
De plus, en l’absence de clauses restreintes d’emploi (clause de non-concurrence ou de non-sollicitation), l’employé n’a pas l’obligation de ne pas concurrencer son ex-employeur dès l’instant où il cesse de travailler pour ce dernier. En ce sens, la Cour d’appel retient que le contrat de travail continue d’exister jusqu’à la fin du préavis, mais que la relation contractuelle ne perdure pas au-delà de la démission ou du congédiement. Sans cette relation contractuelle et en l’absence de clause restrictive dans le contrat, l’employé démissionnaire est libre de concurrencer son ex-employeur.
Abus de droit dans la faculté de l’employé de mettre fin au contrat de travail
Dans cette affaire, l’employeur prétendait également que l’employé avait abusé de son droit dans le contexte de la résiliation de son contrat de travail.
Or, pour la Cour d’appel, la résiliation soudaine et immédiate du contrat de travail ne saurait être considérée en soi comme un abus de droit. L’employeur devait démontrer une faute caractérisée distincte du droit de démissionner et un préjudice allant au-delà des conséquences normales de la résiliation du contrat par démission, ce qu’il n’a pas été en mesure d’établir.
Le préavis raisonnable et l’évaluation des dommages-intérêts
Il est indéniable que l’employé devait donner un préavis raisonnable à son employeur avant de quitter son emploi. L’employeur a convaincu le Tribunal que le départ précipité de l’employé l’a empêché de mettre en place des mesures visant à limiter les conséquences de ce départ. Cependant, il retient également que l’exode de la clientèle n’aurait pu être évité. Cela est déterminant puisque l’employeur ne devait pas simplement démontrer la perte de profits, mais démontrer qu’il a perdu la chance réelle d’éviter la baisse de la clientèle. En présence d’une simple hypothèse, le Tribunal ne retient pas la perte de profits avancée par l’employeur et condamne l’employé à verser à l’employeur l’équivalent de son salaire pendant le préavis raisonnable de 2 mois.
Au-delà des questions juridiques
Alors que l’employeur réclamait 1 066 945 $ à titre de dommages-intérêts pour la perte de bénéfices, pour atteinte à la réputation et pour les troubles et inconvénients, il obtient 12 000 $ du Tribunal pour l’absence de préavis d’une durée de 2 mois.
« Il est certain que la preuve des dommages est beaucoup plus difficile à faire pour l’employeur que pour l’employé. »
À la lecture du jugement, nous comprenons que l’employeur n’a pas été en mesure de démontrer des démarches de détournement de clientèle par l’employé. Le transfert des clients était plutôt issu du libre choix de la clientèle qui évolue dans un petit milieu. Ainsi, sans l’utilisation d’information privilégiée issue de son emploi, seule l’absence de préavis peut être compensée par le Tribunal.
Conclusion
À notre avis, le préavis raisonnable aurait certainement été octroyé de façon beaucoup plus généreuse si c’était plutôt l’employeur qui avait procédé au congédiement de l’employé. De plus, il est certain que la preuve des dommages est beaucoup plus difficile à faire pour l’employeur que pour l’employé. En effet, celui-ci doit démontrer un dommage direct qui résulte de l’absence de préavis et non simplement un dommage causé par la démission de l’employé.
Dans ce contexte, nous vous suggérons de tout mettre en œuvre pour fournir à vos employés un milieu de travail sain et stimulant. Il sera plus avantageux de tenter de les maintenir à l’emploi que de tenter de pallier au départ d’un employé-clé. Enfin, il est également préférable d’ajouter des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation dans le contrat des employés ayant un poste important.
